Le choc social entre une riche et un pauvre
Je lis en ce moment ‘‘Et l’aube se leva’’ de Fatou Keita. C’est un roman très intéressant qui dépeint la réalité de ce à quoi pourrait ressembler une vie en Côte d’Ivoire. À travers plusieurs personnages de cadres de vie différents, l’autrice montre les diverses problématiques auxquelles les Ivoiriens sont confrontés. Je ne suis qu’au début du roman mais j’aimerais évoquer un sujet qui m’a particulièrement marqué.
Dans le roman, nous suivons la vie de Shina, une jeune femme pétillante issue d’une famille très riche. Son père est un ministre et homme politique de renom. Elle ne manque donc de rien et est une femme accomplie. Shina a des standards très élevés dans tous les domaines. Elle vit dans le quartier le plus chic d’Abidjan, dans une duplex élégante avec des tapis blancs dans les pièces principales. Elle a deux employés à son domicile prêts à répondre à tous ses besoins. Elle a une garde-robe soignée et possède des Mercedes comme voiture. Shina a tout simplement une vie de rêve. Son paisible quotidien partagé entre son activité entrepreneuriale et ses gouts de luxe va se bousculer suite à une rencontre : celle avec un petit garçon qu’elle nommera affectueusement, son bambin roux.
Eloé est un petit garçon qui mendit dans les rues. Shina a eu un coup de foudre pour ce garçonnet qu’elle croisa une fois par hasard à un rond-point. Depuis, Shina s’est éprise d’affection pour le jeune garçon et souhaite l’aider. Elle commence par lui donner de l’argent à chaque fois qu’elle le croise à ce fameux rond-point. Puis, elle décide de poser une action complètement inédite : l’inscrire à l’école. Pour un garçon qui vit la majorité du temps dans la rue, c’est une action inimaginable, impensable, irréaliste. Lui Eloé, qui marche pieds-nus de carrefour en carrefour, va être pris en charge par une parfaite inconnue, qui sent bon et qui ne se déplace qu’avec des 4×4 aux sièges en cuir couleur blanc neige. Pour Eloé, cette dame réalisait l’un de ses plus beaux rêves.
Jusque-là tout semble parfaitement bien se passer. Vous vous dites, quelle femme généreuse et altruiste. Et c’est là où l’autrice ne va pas avec le dos de la cuillère. Je le rappelle, Shina vit très confortablement. Elle fait partie de la classe sociale de personne qui peut se permettre de réfléchir sur le choix du type de papier toilette. Double ou triple épaisseur ? Une telle interrogation est possible quand on est fille de ministre. Shina est le genre de personne qui pourrait sûrement être intéressée par un papier toilette sans tube comme le propose le fabricant Essity, qui a étudié la question pendant cinq longues années.
L’ivoirien lambda cherche son pain quotidien. Il vit au jour le jour et travaille dur pour avoir de quoi répondre à ses besoins primaires en tant qu’être humain c’est-à-dire se nourrir, se vêtir, se loger. Il y a même une fameuse citation qu’on pourrait facilement trouver dans les rues d’Abidjan :
‘‘Cherche ton argent’’
Comment une femme aussi déconnectée des réalités quotidiennes de la moyenne des Ivoiriens apportera-t-elle son aide à un enfant défavorisé qui vit bien en deçà du seuil de pauvreté ? Malheureusement, Shina ne manquera pas d’être maladroite et de créer des situations difficiles dans la vie familiale d’Eloé. Shina est complètement naïve et n’a aucune considération de l’impact des actions qu’elle pose. Parmi ces actions, il y a ce moment où Shina, avec sa belle Mercedes, se permet d’aller rendre visite à l’oncle d’Eloé afin de lui proposer ses intentions d’aider son neveu.
Quand j’ai lu ce passage, je me suis dis à quel moment tu pars dans un quartier pauvre avec ta même carapace de riche ? Des chaussures blanches Nike, des lunettes de soleil, une montre imposante au poignet, Shina a été loin d’être délicate. Ce qui m’a le plus choqué, c’est de voir à quel point Shina était complètement déboussolée de constater qu’il était possible pour des êtres humains de vivre dans des quartiers aussi insalubres, délabrés et autant parsemés de boue. Dans ces quartiers, ce n’est pas un tapis rouge mais plutôt un tapis de déchets qui est gracieusement déployé pour accueillir les visiteurs. Peut-on en vouloir à Shina d’arborer des expressions de dégoût à la vue de tout ceci ? Elle n’a jamais dépassé les murs des quartiers résidentiels.
Ce passage m’a fait énormément réfléchir. Il m’a rappelé à quel point Abidjan peut être une ville utopique. Constituée de plus de 4 millions d’habitants, c’est une ville qui laisse paraitre une vie presque de luxe avec ses hôtels 5 étoiles, ses nombreux restaurants et ses centres commerciaux qui poussent chaque année à une vitesse effroyable. De prime à bord, elle peut paraitre comme une ville parfaite très développée. Mais sous cette façade de luxe se cache une pauvreté extrême dans certains quartiers, notamment les bidonvilles. Ces endroits regroupent une population extrêmement pauvre, qui vit dans des taudis que l’on peut difficilement qualifier de maisons.
Fatou Keita aborde majestueusement ce choc social entre deux mondes complètement différents qui pourtant cohabitent dans la même ville. Elle nous fait également réfléchir sur la question de générosité et d’altruisme. Il faut savoir aider, apprendre comment aider. Shina ne voit que ce qu’elle donne c’est-à-dire l’argent, l’inscription à l’école, les nouveaux vêtements et bien d’autres. Cependant, elle ne voit pas l’envers du décor. Elle met en danger Eloé qui sera jalousé par son entourage et même battu.
Je m’inquiète pour le petit Eloé. Shina va-t-elle assumer son trop plein de générosité jusqu’à la fin ? ELoé va-t-il survivre a son environnement qui le voit changer et qui le méprise pour ce changement ? J’ai hâte de terminer le livre pour voir ce qu’il en sera. Je vous invite à me rejoindre !
