Autobiographie

Une trajectoire Africana

Comment vous sentez vous lorsque vous lisez un livre qui pose des mots sur ce que vous ressentez au même moment ? La libération d’un poids émotionnel enfoui sur lequel je n’arrivais pas à communiquer. Voilà ce que j’ai ressenti en lisant ‘‘Le triangle et l’Hexagone – Réflexions sur une identité noire’’. J’avais l’impression que Maboula Soumahoro disait tout haut au monde entier, ce que je pensais, ressentais, vivais, sans l’exprimer.

Je suis ivoirienne. Je suis née en Côte d’Ivoire et j’y ai vécu jusqu’à la classe de terminale avant de m’envoler pour la France afin de poursuivre mes études. Cela fait 5 ans que j’ai quitté ma terre natale. C’est long ! Chaque année, j’ai l’impression de perdre un petit peu plus de moi. Si on devait mesurer mon ‘‘ivoirienneté’’, je dirai que j’ai perdu 40% de sa quantité initiale. Je me pose des questions identitaires. Qui suis-je à présent ? Qui est-ce que j’aimerais être ? Et surtout, pourquoi est-ce qu’il est si important pour moi que je redevienne une ivoirienne à 100% ? Et même une ivoirienne à 100%, qu’est-ce que cela veut dire ? Suis-je entrain de trahir les miens en restant si longtemps en France ? Ce sont des questions qui trottent dans ma tête depuis peu sur lesquelles je n’arrivais pas à communiquer. Cependant, me poser ces questions uniquement à moi rendait la tâche difficile car je n’avais pas les réponses. Lorsqu’on se pose des questions auxquelles on n’a pas la réponse, on cherche, on s’adresse à des personnes, on demande, on se renseigne. Mais moi, je n’osais pas.

Cette semaine, je me suis inscrite à une masterclass en ligne organisée par le Parisafro. C’est un collectif qui organise des évènements qui valorisent la communauté afro-parisienne. L’invité de cette masterclass était Maboula Soumahoro, docteure en civilisations du monde anglophone et spécialiste en études africaines-américaines de la diaspora noire/africaine. Durant cette masterclass, nous devions discuter de son livre ‘‘Le triangle et l’Hexagone – Réflexions sur une identité noire’’. Etant dans ma période de questionnement, je n’ai pas hésité à m’inscrire à cet évènement. Je n’avais pas encore lu son livre mais je l’avais dans ma bibliothèque. J’ai effectué une pause du livre que je lisais et j’ai entamé celui de Maboula Soumahoro. J’étais loin de m’imaginer ce que ce livre m’apporterait. C’est un miracle d’avoir un livre qui me touche autant sur des sujets si personnels pour lesquels je me suis dit : impossible que quelqu’un d’autre me comprenne. A ma grande surprise, madame Soumahoro me comprenait très bien. La preuve, elle a produit un ouvrage sur le sujet.

Maboula, à travers sa plume, me parlait directement. Je comprenais que je n’étais pas seule, que mes questionnements étaient légitimes. Maboula n’offre pas cependant de réponse universelle. Elle m’explique qu’il me revient la lourde tâche de définir mon propre ‘‘ je’’. Cependant, elle me donne des clés pour y parvenir. A la fois autobiographique et essai critique, Maboula explicite dans son œuvre, son cheminement identitaire. Femme noire, née en France et de parents ivoiriens, elle évoque sa trajectoire entre son ascendance africaine, l’Hexagone qui la vue naitre c’est-à-dire la France et l’Atlantique qu’elle a côtoyé pendant une dizaine d’années c’est-à-dire l’Amérique.

Maboula nous explique comment il a été difficile pour elle d’entrer dans l’université dans laquelle elle voulait puis de faire valider sa thèse sur le nationalisme noir, jugé trop radical comme sujet. Elle nous parle ensuite de son aventure aux Etats-Unis et en Jamaïque, ses opportunités universitaires et professionnelles qu’elle n’avait pas du tout en France. L’élément qui me touchera le plus, est sa quête de son identité dans ces différents espaces. En Côte d’Ivoire, Maboula est Dioula (un groupe ethnique du nord de la Côte d’Ivoire). En France, elle est noire et africaine. Pas parce qu’elle le désire, mais parce que la société française a décidé de lui coller ces étiquettes. Aux Etats-Unis, elle pouvait se présenter comme étant française sans être questionnée davantage. Et en Jamaïque, par son nom et son prénom jugés authentiques, elle était une vraie africaine, ivoirienne. Le reste n’importait plus. C’est dans ces différents cadres qu’a navigué Maboula. Ce sont ces différentes expériences qui l’aideront à définir son ‘‘ je’’.

Maboula décide de se définir comme une femme noire. Son cheminement l’a conduite à ce résultat. Le plus important dans cette définition, c’est que Maboula explique qu’elle est le fruit d’un mélange de ce triangle Afrique, Europe, Américaine. Aucune expérience ne lui retire ce qu’elle est mais contribue plutôt à l’enrichissement de sa personne. Ainsi, peu importe la finalité de notre cheminement, nous devons prendre conscience que vivre dans un lieu autre que celui de nos origines n’enlève rien à l’impact de notre ascendance, de notre terre natale sur notre identité. Maboula me fait comprendre que peu importe la réponse à la question ‘‘Qui suis-je’’, je reste une ivoirienne qui a vécu une partie de sa vie en France.

Cette œuvre magnifiquement bien écrite pose des mots concrets sur ce que peuvent ressentir tout individu issu de la diaspora noire/africaine en quête de son identité. Entre charge raciale, charge sociale, transfuge de classe, Maboula nous présente sa trajectoire afrodiasporique. Bien qu’elle traite de divers sujets qu’elle a subit tels que la pauvreté, le sexisme, l’islamophobie et le racisme, l’élément qui m’a le plus saisi est la question identitaire. Cette œuvre est quelque part une lettre à cœur ouvert à tous ces afro-descendants à qui leur manque leur terre natale, qui rêvent d’un retour. C’est une lettre qui invite à la conciliation avec soi-même. Même si je n’ai pas encore les réponses que je cherche, je sais dorénavant que je dois me réconcilier avec mes différentes expériences afrodiasporiques qui enrichissent et complètent mon identité.

Et vous, connaissez-vous votre ‘‘ je’’ ?


Image vitrine de l’article : Photo by Oladimeji Odunsi on Unsplash

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