Réalisme

Comment obtenir son visa avec un boubou rouge ?

Aujourd’hui, petite escapade en Côte d’Ivoire précisément à Abidjan. ‘‘La voix d’un être humain en conversation normale est mesurée autour de 70 décibels. Un Ivoirien ne parle pas en dessous de 100’’, telle est une caractéristique que propose l’auteur pour reconnaitre avec précision un Ivoirien dans les rues. Le petit voyage que je vous propose aujourd’hui s’effectue à travers l’œuvre ‘‘Black Manoo’’ de Gauz. Ce titre ne nous donne aucune information sur le contenu de l’œuvre. Les premiers indices seront trouvés dans la quatrième de couverture. L’œuvre fait le récit d’une histoire qu’on aura tous entendu au moins une fois, en tant qu’enfant de notre chère Afrique : cet  Homme qui part tenter sa chance à Bingué (l’occident) pour fuir les réalités de sa condition ‘‘misérable’’ au pays.

Qui est Black Manoo ? C’est l’oncle, la tante, le frère, le cousin qui a décidé, comme le dirait les Ivoiriens : d’aller se chercher derrière l’eau c’est-à-dire tenter sa chance en occident.

Armand Patrick Gbaka-Brédé, alias Gauz est un écrivain ivoirien né en 1971 à Abidjan Côte d’Ivoire. Après un diplôme en biochimie, Gauz a plusieurs talents à son arc avant d’entamer sa carrière d’écrivain. Il a été photographe, documentariste et directeur d’un journal économique satirique en Côte d’Ivoire. Il a aussi écrit le scénario d’un film sur l’immigration des jeunes Ivoiriens, ‘‘Après l’océan’’. Avec un parcours aussi brillant, Gauz aura vécu une situation commune à de nombreux immigrés en Occident : la situation du sans papier. C’est à travers ses propres expériences que Gauz tire sa plume et embrasse ses feuilles blanches. Gauz exploite dans ses écrits, via ses observations sociales, la vie des marginalisés de la société, ceux à qui la vie n’aura pas fait de cadeau. Il décortique avec réalisme la vie de ceux qui ont eu un faux départ, les mauvaises fréquentations, les malchances de la vie. Gauz porte une attention particulière à ses confrères Ivoiriens qui mènent cette vie difficile.

Je ne possède pas les droits de cette image.
Photo de CELINE NIESZAWER/LEEXTRA VIA LEEMAGE Extrait de l’e-article de Gladys Marivat sur
‘‘Le Monde’’

L’œuvre ‘’Black Manoo’’, imprimée en Juillet 2020, s’inscrit totalement dans ce contexte. Constituée de 170 pages, c’est une œuvre envoutante qui se lit très facilement. Le style de l’auteur est d’une simplicité affolante. Aventure chamarrée de péripéties, ‘‘Black Manoo’’ illustre l’histoire d’un junky ivoirien qui réussit à atteindre l’Europe, précisément Paris dans le quartier de Belleville. Dans les années 90, il est assez facile d’utiliser ce stratagème pour passer les aéroports Felix Houphouët Boigny et Charles de Gaulle. Armée de son boubou magique de couleur rouge, Emmanuel alias Black Manoo passera les frontières avec une fausse identité et un faux passeport. Un système bien rodé par les passeurs qui connaissent le métier du bout des doigts. Bien moins périlleux que la traversée de la méditerranée, ce circuit fait appel à des professionnels qui opèrent des deux côtés : Abidjan et Paris. A Abidjan, il s’agira de préparer le mental et la fausse identité pour passer les épreuves de la douane. Ensuite à l’arrivée à Paris, on trouve le maillon final de la chaîne qui récupère le passeport du nouvel arrivé, passeport qui retournera sur sa terre en aider d’autres rêveurs de l’Occident.

Organisé en chapitre très court, pas plus de trois pages, Gauz nous rend spectateur des différents événements de la vie de Black Manoo depuis son arrivée sur Paris. Les chapitres s’enchainent. Les histoires sont de plus en plus entrainantes. Un attachement se crée entre le personnage Black Manoo et le lecteur. Gauz dissèque des faits de société que nous avons probablement expérimentés en tant que diaspora pour lesquels nous n’y prêtons pas forcément attention. La notion de communautarisme hypocrite est très révélatrice du comportement des africains les uns envers les autres versus envers les autres communautés, notamment avec l’occidental français blanc.

Le sans papier en France, jusqu’où est-il prêt pour rester dans ce pays ? La question de l’immigré, est traitée sous un autre regard que l’on n’aurait pu avoir dans les médias. En général, lorsqu’on entend immigration, les mots suivants ne tardent pas à s’échapper du larynx : fermer les frontières, danger, misère du monde. Cependant, jamais un immigré, en particulier l’immigré sans papier ne sera invité sur un plateau télé. On n’entend jamais la version de l’histoire du côté de celui qui la vit. On l’entend par contre à foison de celui qui observe et qui critique en se définissant pseudo expert du sujet. Dans ‘’Black Manoo’’, Gauz ne politise rien. Il dépeint la réalité de ces damnés de la société à qui la parole ne sera jamais donnée pour exprimer, expliquer leur vécu, leurs objectifs, leur motivation. Avec Black Manoo, on suit les étapes du processus d’installation du sans papier, sa volonté de lancer un business, sa quête pour se régulariser en s’adressant à des associations et surtout les alliances en histoire de cœur pour paraitre père responsable et aimant.

Jusqu’à la moitié du roman, nous savons que Black Manoo est un junky ivoirien qui essaie de se débrouiller à Paname. Cependant, qui est-il réellement et d’où vient-il ? Cette interrogation est parfaitement résolue avec un bond dans le passé de Black Manoo, avant même qu’il ne rêve d’ailleurs. De situations cocasses et rigolotes sur Paris, on passe à un passé sanglant, fort en émotion et rythmé de torture. Black Manoo fait partie de ceux pour qui la chance aura été celle d’être encore en vie, en un seul morceau. Black Manoo aura frôlé la mort à plusieurs reprises. On comprend dès lors pourquoi notre personnage, au retour du pays du cauchemar, se donnera à bras ouvert à la drogue pour essayer d’oublier l’enfer sur terre auquel il aura été entrainé. On comprend mieux les aspirations du personnage à quitter son pays et son continent. Cette éventualité se présentait comme une nécessité pour reprendre une vie loin des démons qui auront enchainés son corps et son esprit.

‘’Black Manoo’’, c’est une œuvre parsemée d’humour à l’ivoirienne et de citations bien atypiques. J’ai trouvé celle-ci particulièrement intéressante. Lorsque Black Manoo se fait contrôler par les agents de la RATP, il sait très bien que son destin prendra une autre tournure car il n’a pas de titre de transport. Ainsi lui vient cette pensée : ‘‘La résignation du condamné. Pour un sans papier, le défaut de titre de transport est le pire crime’’. Va-t-il s’en sortir ? Je vous propose de le découvrir en vous procurant au plus vite ce trésor de la littérature ivoirienne.  

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